
228 LA SACRALISATION DU POUVOIR
une véritable
«
dogmatisation»
(p.
971) du matérialisme dialectique
9
en
URSS
et dans
le mouvement communiste international, et même au-delà
de
la période stalinienne. La
théorie philosophique ne servit plus à mobiliser les masses populaires en les éduquant
mais à les encadrer par une conception du monde jouant le rôle de «foi unitaire»
expliquant tout à peu de frais. La théorie avait alors pour sujet non pas un processus
propre impliquant la liberté des discussions mais un seul homme devenu «pontife».
Comme le fait remarquer
Tosel,
cette théorie vérifiait de manière ironique la vérité de
la thèse marxiste de la nature politique de toute philosophie vu qu'il n'y avait alors
qu'un seul philosophe, le maître du pouvoir: «La théorie s'identifiait au secrétaire
du Comité central, version parodique du savoir absolu, et elle avait le dernier mot en
tout» (p. 975). Le matérialisme dialectique a donc eu un «rôle magique» (p. 977):
répéter les formules libératrices du matérialisme dialectique lui-même pour cacher la
pratique réelle d'un Etat qui se donnait comme l'incarnation de la raison absolue.
Sur le plan philosophique, le stalinisme, philosophie officielle du Parti et de
l'Etat
soviétique, fut une codification du marxisme par le biais de ce que Louis Althusser
(1918-1990) appela une lecture «ontologique», c'est-à-dire une lecture qui traduisit
le matérialisme en une «ontologie de la matière» dont la dialectique énonçait des
«lois»
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supposées se vérifier déductivement dans l'histoire et dans la nature en tant
que principes fondamentaux de
l'être
et préceptes méthodologiques. Comme le fait
remarquer
Tosel,
sous cette forme sommaire, ces lois sont des «lieux communs privés
de toute portée opératoire
».
On y affirme que tous les phénomènes sont matériels, que
leur interconnexion forme ce monde un et divers, que les phénomènes sont soumis à
la loi universelle du changement qui est une lutte des contraires. Sur cette base, on
put donc trouver des illustrations de ces lois dans les sciences de la nature et affirmer
que celles-ci confirmaient le «Dia-Mat».
S'étant
constitué en «ontologie a priori»,
le «Dia-Mat» fut une instance normative des sciences qui exploita des affirmations
isolées d'Engels et de Lénine et ignora en même temps la critique marxienne de la
spéculation et le refus par Engels et par Lénine de toute «superscience» contrôlant
les sciences. Le «Dia-Mat» a ainsi imposé aux sciences des résultats et des méthodes
a priori conformes à une image rudimentaire de la dialectique. Pour Tosel, le «Dia-
Mat» a fonctionné comme une «police politique du vrai» ".
Quant à ce qui expliquerait que pareil discours se soit implanté dans les esprits,
c'est
au «dispositif philosophique matriciel» de cette «ontologie de la matière» et
aux pratiques policières qui l'accompagnaient autant qu'elle les justifiait qu'il faudrait
rapporter les dramatiques retombées sur les scientifiques et écrivains soviétiques, mais
aussi sur nombre d'intellectuels européens
12
. A un niveau plus pratique, les raisons
du succès mondial de cette doctrine, bien que «d'une telle indigence» (B. Thiry),
résident dans les fonctions politiques exercées par Staline (secrétaire général du Parti
communiste du vivant de Lénine, puis successeur de ce dernier à la tête de
l'Etat
soviétique) ainsi que dans la diffusion massive de ses écrits dont Des Principes du
Léninisme (1924) et Matérialisme dialectique et matérialisme historique (1938).
Ainsi, si le nom de Staline est aujourd'hui associé aux pires horreurs et à une débâcle
de la pensée, il fut par contre reçu pendant des décennies par des millions d'individus
comme le label international du marxisme philosophique puisque le stalinisme, né en
Russie, dépassa vite ses frontières en étant propagé par l'Internationale communiste
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